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Conférence et table-ronde du cinquantenaire de l’Association des Réserves Naturelles des Aiguilles Rouge



Des réserves naturelles, pour quoi faire ? Vertus et malédictions de l’esprit de zonage
par Bernard Debarbieux - Université de Genève


La conférence est centrée sur les
conceptions et les notions de protection de la
nature propres aux sociétés occidentales, de la
vision romantique du XIXe siècle à
aujourd’hui. Elle met l’accent sur les sources
des approches territorialisées des espaces
protégés – parcs nationaux, réserves
naturelles, etc.
Après une introduction sur la vie et le
mode de pensée de John Muir (1838 - 1914),
dont le rôle pionnier a été décisif dans la
création en 1890 du Parc national de
Yosemite et l’adoption de la Loi fédérale sur
les parcs nationaux, la conférence se poursuit
en 4 étapes illustrées de textes d’auteurs
montrant comment s’est développée la genèse
des approches territorialisées des espaces
protégés et quelles en sont les conséquences.
La propriété privée et la territorialité
étatique. Le monde occidental s’est
singularisé à partir du XVIe siècle par
l’adoption de cette double façon de partager
l’espace terrestre. Les espaces protégés se
sont glissés dans ce principe de partition
générant une territorialisation de leurs
frontières qui pourtant n’ont aucun sens dans
le monde naturel.
Le Sacré. Cette façon de concevoir la
protection de la nature par la création
d’espaces protégés a contribué à sacraliser ce
type d’espace, ou plutôt à les penser selon le
couple sacré-profane qui se trouve au coeur
des imaginaires des religions monothéistes (et
aux antipodes des imaginaires des croyances
animistes ou totémiques). Certes la notion de
sacré est omniprésente dans les écrits
occidentaux relatifs à la nature depuis
l’époque moderne, parfois pour qualifier un
type de milieu ou de paysage – comme les
montagnes pour John Ruskin (1843–1860)
qui a beaucoup fréquenté la vallée de
Chamonix, et voit les montagnes comme des
« cathédrales de la Terre ». Mais cette notion
de sacré est tout particulièrement associée aux
espaces de nature que l’on a voulu protéger de
transformations radicales ; les métaphores
utilisées alors sont tantôt religieuses (celle du
« temple de la nature » par exemple), tantôt
non, mais alors elles exploitent l’imaginaire
de la nation qui a développé sa propre
sacralité avec les notions de « monument »
(Hugo) ou de « musée » (Sand) comme dans
le cas de la « Réserve Artistique de
Fontainebleau » créée en 1861 à l’initiative
des peintres de l’époque.
La profanation du Sacré. Dans les
sociétés monothéistes, le caractère sacré
attaché à un lieu rend possible l’interprétation
de certaines pratiques en termes de
« profanation ». C’est ce que Ruskin fait
quand il dénonce les coureurs de cimes et les
constructeurs de chemins de fer de son temps.
Un projet de chemin de fer conduisant au
sommet du Cervin a suscité à la fin du XIXe
siècle une opposition qui attestait du caractère
sacré conféré au sommet et de la profanation
qu’aurait engendré cette construction. En
complément, Bernard Debarbieux évoque la
situation du parc national d’Uluru en
Australie dont le sommet principal – baptisé
Ayers Rock par les colons – a bénéficié d’une
sorte de sacralisation en devenant emblème
du parc et de l’Australie toute entière, mais
sans prendre en compte pendant longtemps
l’interdit religieux de son ascension pour les
Aborigènes vivant à ses pieds. L’interdiction
de son ascension peu après son inscription au
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Chamonix, 2 août 2022
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patrimoine mondial de l’Unesco illustre la
reconnaissance des visions que les
populations autochtones ont de leur
environnement naturel et la légitimité de leurs
propres règles en matière de pratiques.
Qui dit lieux sacrés dit aussi lieux
profanes. Dans les religions monothéistes,
tout comme dans le monde laïque occidental,
la qualification de lieux associée à l’idée de
sacré va de pair avec la qualification d’autres
lieux sur le mode profane. La « malédiction »
des espaces protégés et sacralisés - sous-titre
de la conférence -, a été qu’ils ont concouru à
leur insu à la surexploitation des ressources à
leurs portes. C’est ce qui s’est produit au Parc
National de la Vanoise où la zone centrale,
surprotégée, a servie de monnaie d’échange à
l’équipement intensif des versants de la zone
périphérique, donnant naissance au plus gros
complexe touristique de montagne du monde.
Le zonage protège ici mais contribue à surdensifier
ailleurs. A plus petite échelle, la
vallée de Chamonix a connu une situation
similaire à la fin des années 1980 quand un
marchandage est intervenu entre promoteurs
de différentes conceptions de la gestion de la
haute montagne, marchandage sous forme
d’un zonage d’ensemble juxtaposant des
domaines skiables en extension (Pendant-
Lognan, Flégère-Plan Praz) et des périmètres
de réserves étendus (Carlaveyron, Vallon de
Bérard).
Face à ce constat, que proposer? Bernard
Debarbieux identifie plusieurs façons
d’atténuer les effets de clôture et de
sacralisation de la création et de la gestion de
réserves naturelles. Beaucoup ont déjà fait
l’objet d’initiatives de la part des associations
et des organismes de gestion : s’ouvrir à la
coopération entre espaces protégés, étudier les
phénomènes naturels par-delà les limites des
réserves, par exemple en promouvant la prise
en compte de corridors écologiques entre
espaces protégés, etc. Mais plus généralement
il importe que les acteurs des espaces
protégés contribuent vigoureusement à la
réflexion d’ensemble que les sociétés locales
et nationales doivent conduire pour la gestion
de leurs territoires et de leurs environnements,
au-delà des murs des temples de la nature
qu’elles ont édifiées… Autant de chantiers et
de suggestions qui sont repris et animent la
table-ronde qui a suivi la conférence.
Table-ronde
Bernard Debarbieux1, Thierry Lebel2, Jean-
Paul Zuanon3 et Michel Cara4 avec une
quinzaine de participants à la table ronde.
La table-ronde s’ouvre avec les propos
liminaires de Jean-Paul Zuanon et Thierry
Lebel.
Jean-Paul Zuanon rappelle le contexte
dans lequel le parc national de la Bérarde a
été créé : celui d’une logique fustigeant les
comportements de l’Homme dont le
surpâturage entraînait érosion, déboisement et
désordre torrentiel dans le massif. Cela avait
conduit l’Etat à acquérir 4000 hectares de
terrains en 1912 pour protéger et reboiser la
zone. En 1913, fut créé le parc national de la
Bérarde, avec un but alors bien éloigné du
souci d’une protection de la nature profitant à
l'Homme, qui fut l’esprit de la loi du 22 juillet
1960 sur les parcs nationaux. En luttant contre
le surpâturage, ce premier parc national a, de
fait, permis de protéger la végétation
endémique du massif et fut en quelque sorte
le modèle précurseur du parc national de la
Vanoise créé cinquante ans plus tard.
Jean-Paul Zuanon évoque également le
rôle de l’association des Contamines qui
oeuvra pour créer la Réserve naturelle
actuelle, dans une vallée également de fort
pâturage, et il déplore l’effacement de cette
association qui avait joué un grand rôle à
l’époque.
En matière de protection de la Nature,
Thierry Lebel insiste sur le lien indispensable
à faire entre l’évolution de l’environnement
global de la Planète et la situation particulière
du site d’une Réserve naturelle. Il met par
ailleurs en garde contre une conception trop
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statique des espaces protégés en lui opposant
une vision dynamique d’évolution de la
Nature à laquelle nous sommes confrontés. Il
considère qu’une Réserve naturelle devrait
être un lieu privilégié d’éducation du grand
public qu’il faut sensibiliser au rôle que joue
l’Homme dans l’évolution actuellement très
rapide des facteurs conditionnant le monde
naturel et la diminution de sa biodiversité
(climat, pollutions de toutes sortes). Il juge
par ailleurs important de penser aux
connexités entre les Réserves et les espaces
surprotégés d’échelle inférieure (type
Réserves biologique intégrales du Vercors), et
les espaces d’échelle supérieure que sont les
trames vertes et bleues visant à maintenir des
couloirs de circulation des espèces animales
et végétales, ainsi que de l’eau, sur de vastes
territoires.
Dans le domaine de la recherche, Thierry
Lebel considère essentiel de s’attacher à
documenter les dynamiques des changements
en cours, et à promouvoir une approche fine
des processus sous-jacents, que ce soit dans le
périmètre des aires surprotégées ou, à
l’inverse, dans les zones où la pression
anthropique est forte comme au Lac Blanc
dans la Réserve des Aiguilles Rouges.
Suite à cette introduction et à la conférence
de Bernard Debarbieux, une discussion riche
de nombreux échanges est engagée. On peut
la résumer autour des quelques points qui
suivent :
Frontière des espaces protégés. Aux
concepts d’espaces clos et surprotégés, ne
faut-il pas opposer une vision plus ouverte,
dont les trames vertes et bleues des zonages
de PLU sont les prémices? Le fait que la
commune de Chamonix-Mont-Blanc soit en
phase de révision de son PLU est une bonne
opportunité pour traduire ces concepts avec
des mesures réglementaires.
Education à la Nature. La discussion
montre qu’il est important d’agir pour
construire des messages partageable par tous
les acteurs pouvant influer sur la société, de
l’école aux familles, en utilisant tous les lieux
où le public peut être sensibilisé. Prise de
conscience des changements globaux et
incitation à changer les comportements de
chacun sont autant de leviers à faire jouer.
Rôle des forçages extérieurs Les
conditions dans lesquelles les Réserves
Naturelles ont été créées dans les années
1970-80 sont très différentes des conditions
actuelles, car on ne percevait pas alors le rôle
de forçages extérieurs qui, indépendamment
des mesures prises localement, modifient les
zones protégées. Le changement global du
climat et les pollutions atmosphériques
(exemple avec les micro-plastiques) sont
autant de forçages externes qui n’étaient pas
imaginés alors. Cette réflexion rejoint la
remarque de Thierry Lebel sur le lien entre le
global et le local.
Enjeux autour de la biodiversité. Il est
rappelé que lors de la COP15, tenue en Chine
en octobre 2021, la Convention pour la
diversité biologique de l'ONU s’est fixée pour
objectif de protéger au moins 30% de la
Planète d'ici 2030 afin de lutter contre la
dégradation accélérée de la nature. En France,
cet objectif a été décliné dans le volet « Aires
protégées » de la Stratégie nationale pour la
biodiversité, destiné à couvrir au moins 30%
du territoire par des aires protégées et à en
mettre 10% sous protection forte. Comptetenu
de l’ampleur de nos territoires ultramarins,
la France peut afficher que ses
objectifs sont atteints alors qu’ils sont très
loin de l’être en métropole. De surcroit, on a,
en France, moins de contingentement et de
régulation qu’ailleurs. Par exemple la chasse
est autorisée dans 50% des Réserves
naturelles. La discussion montre qu’il faut
réfléchir à la manière dont une Réserve
naturelle peut contribuer à élever le niveau
d’ambition de la politique française de
protection, tant en ce qui concerne le territoire
qu’elle a mandat de gérer qu’en créant des
continuités et des synergies avec d’autres
dispositifs.
Conférence et table-ronde du cinquantenaire de
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Sur-fréquentation d’espaces protégés.
Depuis la création des Réserves naturelles
dans les années 70, certains secteurs protégés
se sont transformés en « spots touristiques »
sur-fréquentés. Compte-tenu par ailleurs de
réglementations inadaptées face aux nouvelles
pratiques sportives (trails, VTT, développement
de l’assistance électrique …), la
situation devient difficilement gérable.
S’ajoute à cet engouement pour les espaces
naturels préservés, une conséquence du
réchauffement climatique : ces espaces sont
déjà, et seront de plus en plus, vus comme des
refuges climatiques. Ce qui est vrai pour les
Réserves naturelles de montagne l’est aussi
pour les Réserves de plaine qui peuvent
constituer des îlots de fraicheur à proximité
d’espaces fortement urbanisés. Ce constat
amène les participants à se poser deux
questions :
- Faut-il aller jusqu'à des systèmes de quotas
dans les Réserves naturelles ?
- A l'inverse, ou en complément, faut-il
créer des espaces de protection intégrale ?
La discussion montre qu’il s’agit là d’un
questionnement majeur et qu’il ne peut être
traité qu’en entraînant l’accord des
populations locales et de leurs représentants.
___________________________
1) Professeur de géographie et aménagement du
territoire à l’Université de Genève.
2) Hydro-climatologue, Directeur de recherche
IRD à l’Institut des géosciences de
l’environnement à Grenoble
3) Chercheur retraité en Sciences Sociales, auteurs
de nombreux ouvrages sur les rapports Homme-
Nature.
4) Géophysicien, Professeur retraité de
l’Université de Strasbourg, Président du conseil
scientifique de l’ARNAR.



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